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Par Maurice Couve de Murville, ancien Premier Ministre, Président du conseil national de France Etats Unis.

Je ne voudrais pas profiter de la circonstance, c’est-à-dire les élec­tions du Président des Etats-Unis, pour ouvrir des réflexions sur cette élection. ou pour exprimer de la satisfaction à ce sujet, et entrer dans la politique américaine, Ceci nous pouvons le laisses à la presse, comme on dit de nos jours aux médias, c’est-à-dire en y ajoutant la télévision, et nous pouvons le laisser surtout à l’avenir. qui vous informera sur ce qui se passera et sur ce que sera le sort de ce grand pays ami que sont les Etats-Unis pendant les quatre années du nouveau Président qui a été élu dans la journée d’hier.

Je dirai simplement, pour ce qui me concerne, que cet événement ne va pas entrainer de révolution. Et je pense que la politique des Etats-Unis continuera à être marquée par une certaine continuité, même par une bonne continuité. en tous les cas en ce qui concerne la politique étran­gère.

La politique étrangère, c’està-dire. en particulier. les rapports tout à faitt nouveaux qui se sont établis entre les États-Unis et l’Union sovié­tique et qui ont changé complète­ment la face du monde. Est•ce que ça aurait été la même chose si le concurrent de M. George Bush, qui vient d’être élu, avait été choisi par le peuple américain, c’est-à-dire M Dukakis? Personne ne le sait, et personne ne pourra jamais le dire. Je suggérerai simplement que c’est assez vraisemblable, parce que les choses sont engagées de telle sorte qu’elles vont en quelque sorte conti­nuer quoiqu’il arrive On ne le saura jamais. puisque Dukakis n’a pas été élu et ce que l’on sait, ce que l’on peur constater, je le dis en passant à titre indicatif, c’est que l’échec de ce candidat nous a fait échapper à cet événement extraordinaire qu’aurait été l’élection comme Président des États-Unis d’Amérique d’un homme qui est le fils d’un émigré grec et qui est de religion orthodoxe. Voilà ce qui aurait été, et qui est aussi d’ail­leurs puisqu’il a été officiellement candidat, bien contraire à des idées que nous nous faisons souvent des États-Unis d’Amérique, comme étant le domaine exclusif de ce que nous appelons des anglo-saxons protestants. C’est vraiment quelque chose qui est tout a fait digne d’être rappelé parce que C8 marque à quel point l’évolution de ce pays est rapide et n’est pas en voie de s’arréter prochainement Enfin, je passe sur cet événement qui est. à propre­ment parler du passé. pour me tour­ner plutôt vers l’avenir

L avenir • il y a la politique étran­gère, je vous le disais. dont je pense que la continuité sera assurée. 11 y a aussi la politique économique et financière Et quand on parle de cela, s’agissant de la situation pré­sente des États-Unis d’Amérique, on pense à l’énormité du déficit du bud­get de ce pays et du commerce exté­rieur Certes, les démocraties sont toutes les mêmes et il n’en aurait pas été autrement en France si ça avait dû être le cas, notant que les candidats dans leur campagne élec­torale n’en ont pratiquement pas parlé: et que comme ils n’en par­laient pas ils n’ont pas non plus proposé les mesures qu’ils envisageaient pour régler ces problèmes gigantesques et qui créent, non seulement aux États-Unis, mais dans le monde entier, une situation vraiment très difficile, et }e me per­mettras d’ajouter dangereuse. C’est, je crois, un poire sur lequel ii est dif­ficile d’être très optimiste et je pense que nous allons vivre encore, à moins que les choses ne changent tout d’un coup, et que le candidat récemment élu qui s’appelle George Bush ne prenne des décisions cou­rageuses et mirobolantes, et si ce n’est pas le cas, nous allons vivre encore longtemps dans les difficul­tés qui résultent de cette situation.

Il n en va pas du tout de même pour ce qui est de la politique étran­gère, où comme Je vous le disais. également aussi la continuité est assurée, mais dans d’autres condi­tions Cette politique étrangère pour ce qui nous concerne, nous autres les Français, pose deux problèmes ce sont les rapports de notre pays avec les États-Unis d’Amérique, et ce sont, d’autre >est. tes rapports des États-Unis d’Amérique avec l’Union soviétique Sur le premier point, je crois que nous pouvons dire, sans aucune réserve. qu’actuellement ces rapports sont bons, et qu’ils n’ont pas de raison de changer clans un avenir proche et même lointain. Vous vous rappelez toutes les diffi­cultés que nous avons eues sur le plan américain• à une époque où le Général de Gaulle était au pouvoir et même un peu après qu’il ait disparu, c’est-à-dire à l’époque où il fallait refaire la France à tous les égards et notamment pour ce qui concerne sa position dans le monde. Et il nous a fallu pour rétablir cette situation, comme nous avons dû nous résou­dre à des mesures dures à accepter à l’intérieur pour rétablir la situation économique et financière. aussi pro­céder à des mesures qui ont changé beaucoup d’habitudes et de comportements et qui ont créé non seulement des critiques mais des difficul­tés Des difficultés avec tout le monde, c’est-à-dire à la fois avec nos voisins européens et avec nos alliés américains.

Eh bien tout ça est maintenant exclusivement du passé. Tout ce que nous avons fait à l’époque dont je parlais, est totalement accepté aujourd’hui par tout te monde et ne soulève aucune espèce de problème d’aucune sorte, En fait, on n’en parle plus jamais, et tout simplement pour la raison que ce que nous avons fait à cette époque lointaine, ça remonte à plus de 20 ans et même à 25 ans, tout ce que nous avons fait n’a jamais mis en cause la sécurité de l’Occident et en réalité le fonction­nement de Atlantique, autrement dit la sécurité de l’Occi­dent a été totalement préservée. Et c’est ce que les États-Unis eux-mêmes ont reconnu pour la première fois dans la bouche du président Nixon, il y a maintenant déjà une vingtaine d’années, et cela s’est poursuivi par la suite.

Voilà le bon côté des choses, si je puis dire. C’est-à-dire les bonnes relations qui existent entre nos deux pays’ et qui font que nous nous par­lons maintenant avec franchise et sincérité et sans aucune espèce d’acrimonie_ Ce tableau que je vous brosse, s’est malheureusement assombri par ce qui s’est passé du côté de la France elle-même, depuis qu’elle a perdu le Général de Gaulle comme Président de la République. et que d’autres se sont succédés dans des conditions, disons plus ou moins bonnes. Ce qui s’est passé, c’est tout simplement que la France a perdu progressivement, compte tenu en particulier de sa situation intérieure et de ses difficultés éco­nomiques et monétaires, dans le monde une grande part de l’autorité et du prestige dont elle bénéficiait, et qu’elle n’est plus le premier pays de l’Europe Occidentale avec lequel tout le monde a par priorité le désir et la volonté de s’entretenir et qu’elle e cédé la place, tout bonne­ment, à la République Fédérale d’Allemagne qui, elle, est devenue le premier pays de l’Europe Occiden­tale et celui avec lequel, non seule­ment les Américains et les Russes, mais aussi tous les autres. veulent s’entretenir par priorité. Et cela parce que l’Allemagne est devenue de très loin le pays économiquement le plus fort de l’Europe Occidentale et que sa monnaie est une des trois monnaies qui comptent aujourd’hui dans le monde, avec le dollar encore et avec le yen japonais.

Je n’insisterai pas sur ce point, je voudrais en revenir aux États-Unis qui sont notre sujet dans ce Comité France-États-Unis et en venir au second point que je vous signalais tout à l’heure en commençant, à savoir les rapports des États-Unis avec l’Union Soviétique.

Sur ce point, il faut que nous noyions bien conscients que nous sommes entrés dans une période tout à fait nouvelle depuis quelques années, et que c’est un autre monde qui se profile à l’horizon pour l’ave­nir. Ceci n’est pas du tout le fait de l’Occident, et pas du tout le fait en particulier des États-Unis d’Améri­que et des autorités de Washington. C’est le fait des Soviétiques et notamment de l’homme qui est à leur tète actuellement et qui s’ap­pelle Gorbatchev et dont on parle énormément. Gorbatchev a accom­pli dans son pays, essaie d’accomplir dans son pays, il vaudrait mieux le dire prudemment, une véritable révolution. Une de plus, vous me direz, mais c’est une révolution. C’est une révolution, je dirai une tri­ple révolution. Elle est politique d’abord, en ce sens qu’il s’agit d’une réforme de l’État qui consiste à met­tre à la tête des affaires publiques, non plus le Parti Communiste, mais [État lui-même, ce qui est très important, mais on ne le mesure pas à l’étranger comme on devrait le faire. Une révolution économique par une transformation complète de cette économie soviétique qui est totalement ossifiée et qui est incapa­ble de produire ce qui est nécessaire à la Russie en dépit des énormes ressources et des énormes terri­toires que ce pays possède et pour cela bien entendu il faut réformer profondément le régime communiste qui est aujourd’hui prédominant.

Puis la troisième révolution est une révolution militaire. Elle consiste à essayer, pour des fins économiques, c’est-à-dire pour dépenser moins d’argent inutilement de consacrer davantage les ressour­ces du pays au développement de ta réussite et de vouloir mettre un terme à cette folle course aux arme­ments que l’URSS poursuit avec les États-Unis depuis maintenant 30 ou 40 ans, c’est-à-dire en fait depuis la fin de la guerre et qui ne sert stric­tement à rien puisque des deux côtés on a, depuis très longtemps, beau­coup trop pour avoir les moyens de se détruire réciproquement et que par conséquent tout ce que l’on ajoute à grands frais. chaque année, n’est que pur et simple gaspillage.

Alors cette révolution militaire qui est forcément celle qui nous frappe le plus puisqu’elle nous concerne directement, s’est traduite par un premier accord qu’on appelle un accord sur les forces nucléaires inter­médiaires qui a été conclu par les États-Unis avec l’Union soviétique, sans d’ailleurs la moindre consulta­tion avec les alliés européens, qui ont été simplement et très genti­ment, je dois vous le dire, et très complètement tenus au courant après coup. Enfin, sa s’est passé comme ça. C’est le premier résultat de cette révolution militaire qui est en cours et dont on peut penser, si Gorbatchev reste au pouvoir, qu’elle se poursuivra et qu’elle va transfor­mer très profondément les condi­tions générales de la sécurité en Europe. Ce qui aura pour consé­quence d’obliger les Européens de penser eux-mêmes à leur sécurité et d’accepter l’idée qu’ils ont des res­ponsabilités à ce sujet et qu’ils ne peuvent pas tout simplement, comme ils l’ont fait pendant 45 ans, se repo­ser à 100 pour 100 sur un paystiers si amical et si important soit-il, et qu’il faut consacrer un peu de ressources et un peu d’intelligence à participer soi-même à la défense de son pays,

Tout cela, je le dis sous une réserve essentielle naturellement, c’est que nul ne peut prévoir pour la Russie quel sera son avenir, telle­ment elle est sclérosée et tellement chez elle les changements sont diffi­ciles, non pas tellement à imaginer mais à réaliser. Et le pauvre Gorbat­chev va avoir une tâche très difficile en admettant qu’il survive. Quoi qu’il en soit, il faut kr reconnaître, tout cela est plutôt bien accepté du côté occidental .et commencer par les États-Unis d’Amérique, étant entendue, pour ce qui nous concerne, la condition de cette acceptation est que notre sécurité soit revue dans son ensemble, pas seulement pour la France, mais pour toute l’Europe Occidentale et que nous en tirions les conséquences et les leçons. Pour ce qui nous concerne, la France e commencé il y a déjà 30 ans en se construisant un arsenal nucléaire. Mais c’est loin de suffire et il faudra bien d’autres choses et bien d’autres sacrifices_ Cela vaut la peine, parce que si cette révolution dont je parlais des rap­ports entre l’Union soviétique et le monde occidental se poursuit, assu­rément le monde entier en bénéfi­ciera beaucoup. Pas seulement les États-Unis, mais tout le monde, et en particulier les Européens de l’Occi­dent.

Dans cette grande œuvre qui com­mence, dont nous ne sommes pas encore conscients, mais qui se pour­suivra pendant des années, sinon pendant des dizaines d’années, dans cette grande oeuvre il est une chose sur laquelle nous devons insister, car elle est indispensable, c’est que la solidarité entre les occidentaux est aussi nécessaire, sinon plus néces­saire que jamais. Et ceci concerne en particulier au premier chef tes rap­ports entre la France et les États-Unis auxquels l’Association France-États-Unis et particulièrement le Comité d’Asnières, et si je suis bien informé des environs d’Asnières, se consacre avec beaucoup de diligence et d’efficacité,

En conclusion, je dirai, ce sera ma dernière réflexion, que compte tenu de tout cela et d’ailleurs de toute tacon, M. George Bush en arrivant à la présidence des États-Unis va avoir devant lui de lourdes tâches et d’im­menses responsabilités. Nous sou­haitons tous qu’il puisse faire face à ces responsabilités et à ces tâches. C’est dans l’intérêt de son pays à lui mais c’est aussi dans l’intérêt du monde entier. Et c’est pourquoi je pense que nous avons tendance, et nous avons raison d’avoir tendance, à lui faire confiance le lendemain de son élection.

• Allocution prononcée par M. Couve de Murville eu cours d’un dîner offert en son honneur par France-États-Unis d’Asnières.

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